La Revelation de Thierno Aliou au Fouta-Djallon

Thierno Aliou Bhoubha N'Diyan fut révélé à I ‘attention de tout le Fouta-Djallon à I ‘occasion d'une réunion de tous

les grands lettrés arabes des 9 Diiwé convoqués par I' Almamy du Fouta à Fougoumba en 1890.

Un document important venu d’Arabie et dont traduction et commentaire devaient être faits par un lettré arabe fut

le motif de la réunion. L'honneur fut donne au Diiwal de Labé de traiter le document, et Thierno Doura Sombili qui

en était le plus grand intellectuel fut désigné. II parcourut le document des yeux et à son tour désigna Thierno Aliou

Bhoubha N'Diyan un de ses meilleurs Talibe. Ce dernier en fit une traduction et un commentaire impeccable

qui impressionnèrent tous ces karamokos du Fouta réunis en la circonstance II fut désigné par la même occasion

pour rédiger la réponse au nom de toute I ‘assistance. 

Ce fut le grand départ pour Thierno Aliou Bhoubha N'Diyan. Il participait désormais non seulement à la vie sociale et

religieuse dans le Diiwal de Labé mais aussi dans tous les autres Diiwe du Fouta-Djallon. II se rendait en Basse et

en Haute Guinée, dans le N'Gabou, ... etc. 

Cependant, malgré sa grande renommée, il avait des égards pour ses doyens d’âge notamment ses

anciens Maître Thierno Boubacar Bhoye, Thierno Doura Sombili ainsi que Alpha Oumar Rafiou de

Daara–Labé considéré comme dernier Maître de Thierno Aliou. En effet, c'est Alpha Oumar Rafiou qui a investi

Thierno Aliou dans les fonctions de chef de la voie Tidjania et qui non seulement l’a fait “Moughaddam” pour donner

le Tidjania aux musulmans méritant, mais aussi l’autorisé a faire "Moughaddam" d'autres marabouts de la

confrérie. On sait qu'Alpha Oumar Rafiou du clan des Wouyaabhe était un marabout de grande valeur qui a vécu et

enseigné à Daara-labé (1800-1885). II était fils de Moodi Saliou chef de Daara-labé. Moodi Saliou était également

père de Djenaba, la mère d’Alpha Ibrahima chef du Labé et père de Alpha Yaya Kaade. C'est le grand marabout

Toucouleur Elhadj Oumar TALL lui-même qui a désigné Alpha Oumar Rafiou comme chef de la voie Tidjania et l’a

fait Moughaddam lors de son séjour à Djegounko près de Timbo. 

Pour ce qui concerne la diffusion de la Tidjaniyya, Thierno Aliou fut la personnalité la plus influente dans la zone

de Labé. Déjà reconnu comme grand Waliyyou et un grand écrivain a I ’époque de la confédération du Fouta-

Djallon indépendante, il garda le même rayonnement jusqu'à sa mort en 1927. Il menait son action de propagateur

de la Tidjaniyya tout en devenant adepte de ce que les historiens d’aujourd’hui appellent « la politique

d'accommodation»  avec les Français qui cherchaient à cette époque un terrain d' entente avec les grand

marabouts, après avoir, dans une première phase engagé une vive répression contre certains d’entre eux

soupçonnés de menées anti-françaises  comme le Waliyyou de Gomba. 

Un jour Thierno Aliou Bhoubha N'Diyan était allé seul se promener en brousse aux environs du village de Dombi à

l'Est de Labé. II y rencontra le griot Farba Salli qui était un chroniqueur au service du Chef de Labé. Farba Salli

lui demanda en plaisantant: 

Mais Thierno, vous êtes seul à vous promener aujourd'hui? Vous n'avez pas de compagnon? 
Mais je ne suis pas seul! 
Mais si vous êtes seul à vous promener et vous allez me donner un cadeau.
Crois-tu vraiment que je sois seul ici?

Aussitôt tous les buissons se mirent à répondre: Ah non! Vous n'êtes pas seul, vous n'êtes pas seul!

Thierno Aliou Bhoubha N'Diyan pratiquait I ‘agriculture et même le petit commerce dont le produit

servait à entretenir sa famille car tout ce qu'il recevait comme don était redistribué aux pauvres. C'est cette vie

modeste que mena Thierno Aliou malgré son rang social et sa renommée.

 Après la disparition de ses doyens d'âge, surtout ses anciens maître cités plus haut devant lesquels il s'inclinait par

respect et par courtoisie, il acquit la premier place parmi les marabouts du Fouta.

Sur les plans politique, administratif et social, jusqu’à la mort de son amie et protecteur Alpha Ibrahima en 1878,

il n'avait pas d’opposition, du moins en apparence. II maintint sa position jusqu’à la nomination d’Alpha Yaya fils

de Alfa Ibrahima comme roi de Labé en 1892. 

Reprenant les relations qui existaient entre Thierno Aliou et son père, Alpha Yaya fit approcher le grand marabout

et le plaça parmi les premiers personnages du pays. Il commença par fortifier la position de Thierno Mamadou,

père de Thierno Aliou dans ses fonctions d'imam de la mosquée de Labé dont il avait été investi par Alpha Ibrahima

et le chargea de représenter à Labé même la famille Douyeebhé dont il fait partie. Thierno Aliou hérita plus tard

ces fonctions. 

Sur le plan judiciaire Alpha Yaya s'est déchargé entièrement sur Thierno Aliou Bhoubha N' Diyan de toutes

les affaires en lui donnant carte blanche.

A Kaade, capitale secondaire du Labé a I ‘époque de petites affaires étaient jugées sur place mais

n'étaient exécutoires qu’après avoir été ratifiées a Labé par Thierno Aliou Bhoubha N'Diyan. 

Cependant, malgré I ‘estime et la confiance que le roi avait pour son fondé de pouvoir en matière judiciaire, il a

voulu vérifier ruse l’honnêteté du grand marabout en chargeant un justiciable d'aller essayer de le corrompre par du

bien matériel. Thierno Aliou renvoya l’intéresse avec des observations sévères. Le justiciable alla rendre fidèlement

compte et le roi fut définitivement conquis. Depuis, tout appel interjeté des jugements rendus dans les districts ou

villages était envoyé au grand marabout assisté de quelques assesseurs. 

Dans ces affaires d’appel un cas particulier mérite de retenir l’attention: Un autre grand marabout avait rendu

en premier ressort un jugement. La partie évincée fit appel et l'affaire fut portée devant Thierno Aliou qui infirma

le jugement. Le premier juge, en l'apprenant fut fort froissé et ne tarda pas à aller trouver le roi pour lui adresser

ses protestations. Alpha Yaya demanda alors à Thierno Aliou de s'expliquer. Ceci donna lieu à une

grande répercussion qui sortit du simple cadre judiciaire pour passer sur le plan politique car c’est le prestige des

deux grands marabouts qui était en jeu. II fallait une fois pour toutes qu'une telle question soit tirée au clair et

qui désormais ferait jurisprudence.

Ainsi au son de la Tabala, les notabilités, les justiciables et les deux juges furent convoqués à la grande mosquée

de Labé pour y être entendus publiquement et devant le roi lui-même. Le premier magistrat présenta le livre de droit

sur lequel il s'est basé pour prononcer sa sentence; le deuxième magistrat, Thierno Aliou présenta lui aussi son livre.

II s'est avéré que l’affaire qui les opposait, le deuxième texte, plus actuel, était le plus conforme au cas jugé; ce

qui avait échappé au premier magistrat. Thierno Aliou avait donc raison. A partir de la aucun autre marabout n'osa

plus attaquer les jugements rendus par Thierno Aliou. Cette situation dura jusqu'à I ‘occupation du Fouta-Djallon par

les Français en 1897. 

 

El Hadj Karamoko Ciradiou Balde